jeudi 29 juillet 2010

Nous sommes en colère ;Les témoins

Témoignage Grenoble: un habitant de la Villeneuve en colère par Jo Briant
Professeur de philosophie à la retraite et militant associatif, Joseph Briant (1) habite dans le quartier de la Villeneuve, à Grenoble, depuis 1972. Il revient sur les événements dramatiques qui s'y sont déroulés ces derniers jours. Il raconte aussi la ghettoïsation progressive, depuis 15 ans, de ce coin de bitume pourtant conçu pour être un lieu de mixité sociale et culturelle.

Dimanche 18 juillet, 23h15, à la Villeneuve : troisième nuit d’état de siège après la mort de Karim, jeune du quartier de l’Arlequin de la Villeneuve, tué par balle suite à un tir en pleine tête d’un policier, alors qu’il revenait d’une opération de braquage au Casino d’Uriage.

Bruit assourdissant d’hélicoptères qui survolent et illuminent le quartier, omniprésence policière avec plusieurs unités de forces mobiles du Raid et du GIPN (ils seraient au moins 300 !). Venant du centre-ville, j’ai eu droit, comme tous les habitants rentrant chez eux en voiture, à un barrage et à une fouille systématique de mon véhicule. Place du marché, je croise une famille dont les enfants crient apeurés...

Deux jours durant j’ai sillonné le quartier pour constater les dégâts (voitures calcinées, abris bus caillassés...), mais surtout pour rencontrer et écouter les habitants.

Réactions certes contrastées qui vont d’une condamnation sans nuances d’une « minorité de jeunes » qui « foutent la merde » et « empoisonnent la vie » du quartier, en brûlant notamment les voitures de leurs voisins de coursive qui en ont tant besoin, à une condamnation tout aussi catégorique de la police qui « a tué sciemment, par racisme, le jeune Karim », en passant par ceux/celles qui mettent tout sur le dos d’une éducation parentale défaillante…

Mais tous sont envahis par un sentiment d’écrasement, d’impuissance et de désespoir face à des événements qui vont enfoncer encore davantage le quartier dans la stigmatisation et la souffrance sociale…

Au-delà des faits, ce que je veux dire, ce que je veux crier, avec d’autres habitants, au-delà de ma colère :

1-L’approche et le traitement exclusivement sécuritaires de ce type de « fait divers » sont aberrants, surtout avec tout ce déploiement et cet arsenal « anti-terroriste » et guerrier.

Depuis plus dix ans la police dite de proximité n’existe plus à la Villeneuve. Les policiers n’ont plus aucun contact avec la population. Leur seule apparition, leur seule visibilité étant réduite à ces irruptions aussi brutales, massives, spectaculaires qu’aberrantes qui ne peuvent provoquer que haine et volonté d’en découdre. Un type d’approche et de « traitement anti-criminalité » qui ne peuvent que dégrader toujours plus l’image et la perception de ce quartier.

2-Les causes ? Il est tentant, et si facile, de désigner une « minorité de jeunes » qui seraient à la base de l’économie parallèle, du trafic de drogue et des incendies réguliers de voiture.

Explication réductrice et paresseuse qui évite de se poser les vraies questions : comment expliquer que le quartier de la Villeneuve, dont la création remonte à 1972 sur la base d’une utopie collective qui a effectivement été essayée et réalisée partiellement jusqu’aux années 90, se soit à ce point« ghettoïsé », appauvri, dégradé à ce point ?

Pourquoi cette concentration progressive d’une population de plus en plus précarisée, en grande majorité d’origine immigrée, en état de grande souffrance économique et sociale, notamment les jeunes dont au moins 50% sont sans emploi et sans aucune perspective ? Avec la fuite parallèle d’une proportion significative de la classe moyenne intellectuelle, dont je fais partie, dont beaucoup d’éléments n’ont pu supporter cette dégradation ?

Les causes sont certes nombreuses, mais pour l’essentiel il faut citer le projet architectural de départ (un ensemble fermé sur lui-même situé à 2 km du centre-ville) qui, malgré nombre d’équipements socio-culturels d’accompagnement, créait bel et bien les conditions d’un ghetto.

Il faut aussi évoquer la politique urbaine de la Ville de Grenoble qui a privilégié la création en région grenobloise de secteurs d’emploi à « valeur fortement ajoutée » faisant appel à des ingénieurs, cadres supérieurs… Ce qui a eu pour conséquence une augmentation notable du prix du m2 et des loyers en centre-ville et de raréfier les logements sociaux accessibles aux classes populaires. Avec l’absence d’une politique volontariste de maîtrise du montant des loyers.

Il faut enfin ajouter une cause structurelle plus déterminante : la panne de l’ascenseur social, la montée massive du chômage, la précarisation croissante des jeunes, l’accentuation de la ségrégation urbaine, autant d’effets directs du capitalisme néo-libéral, avec des effets particulièrement dévastateurs dans des quartiers populaires comme celui de la Villeneuve.

Discrimination

3-La solution, même si elle peut être intéressante, ne saurait se réduire, comme le réclame Michel Destot, maire de Grenoble, à un « Grenelle de la Sécurité ». Oui, certes, à un rétablissement de la police de proximité, oui à une rupture avec ces opérations spectaculaires et terrorisantes qui ne font qu’aggraver le mal… Mais l’essentiel n’est pas là.

C’est bien à toute une politique économique, sociale, urbaine secrétée par un système capitaliste et un libéralisme destructeurs et profondément inégalitaires, qu’il faut s’attaquer. Ainsi qu’à des logiques sociales et urbaines discriminatoires et, disons-le, racistes.

Si un tel fait divers, aussi tragique soit-il, s’était produit dans un quartier du centre ville, ou à Meylan, ou encore à Seyssinet (quartiers résidentiels), aurait-on envoyé tous ces « Robocop », ces centaines de policiers sur-armés, avec hélicoptères? Aurait-on procédé à un encerclement systématique de ces quartiers, à des barrages, à des fouilles systématiques des véhicules et des personnes ?

On ne pourra pas empêcher les habitants de la Villeneuve de penser que des dispositifs aussi guerriers et terriblement traumatisants, humiliants sont précisément décidés pace qu’il s’agit d’un quartier à forte composition immigrée. Je le dis avec colère et conviction : ce type de « traitement » est l’illustration bien réelle d’un rejet, d’une stigmatisation, d’une discrimination qui ne disent pas leur nom.

La population de la Villeneuve, notamment les jeunes, comme celle des quartiers populaires, comme celle de Villiers-le-Bel ou de Saint-Denis en région parisienne, sont bel et bien victimes d’une triple discrimination, sociale, économique et raciste. Tant qu’on ne s’attaquera pas à ces racines d’une exclusion terrifiante et dévastatrice, on ne fera au mieux que différer des explosions de plus en plus inévitables.

4-J’ajoute, pour ne pas terminer sur une note exclusivement négative, que nous sommes un certain nombre de militants qui vivons dans ce quartier, qui apprécions fortement cette richesse sociale et multiculturelle, même si elle est nettement moindre qu’il y a vingt ans, et qui sommes déterminés à y rester, à maintenir à tout prix le contact avec une population en état de grande souffrance psychologique et sociale et à créer les conditions d’un mieux vivre ensemble. Un défi qui peut paraître insensé voire suicidaire mais auquel il est hors de question de renoncer.

(1) Professeur de philosophie, Joseph Briant avait 36 ans quand il s'est installé, avec sa famille, dans le quartier de la Villeneuve à sa création en 1972. Aujourd'hui à la retraite, il milite dans des associations de quartier et est animateur au Centre d'information inter-peuples (CIIP).

Société Pourquoi nous reposons-nous ? par Pascal Ughetto

Société Pourquoi nous reposons-nous ? par Pascal Ughetto
Nicolas Sarkozy a fait du travail l'un de ses thèmes phares dans la campagne présidentielle de 2007. Si des mutations ont eu lieu ces dernières décennies dans l'organisation du travail, certains constats demeurent inchangés (inégalité, précarité). Suite de notre débat sur le travail avec le sociologue Pascal Ughetto.
Nos concitoyens semblent aujourd’hui prendre plaisir à la contradiction : ils tiennent à leurs loisirs, et même (cadres compris) se réjouissent de leur expansion au détriment du travail ; mais ils ne désinvestissent pas le travail pour autant, ils ne demandent pas une vie sans travail.

Il faut bien du dogmatisme pour ne pas voir cette double face. Et cependant, nos théories et nos morales, dans tous les camps, demeurent à principe unique et incapables d’enregistrer et d’interpréter cet état de fait.

Prenons le désormais célèbre « travailler plus pour gagner plus ». Il propose une représentation du « pourquoi nous travaillons », et même plusieurs, pas forcément compatibles. On peut lire cette formule comme stipulant que l’attachement au travail est créé et stimulé par le gain monétaire, en supposant donc un individu au comportement utilitariste et pour lequel le travail est affectivement neutre (ce n’est qu’un support de gains).

On peut aussi s’y rallier parce qu’on assimile le travail à l’effort sain : le travail est ce qui préserve du désœuvrement ou d’un penchant à l’assistance. Enfin, plus indirectement, « travailler plus pour gagner plus » fait écho aux représentations valorisant l’esprit d’entreprise : si les salariés ont manifesté, en choisissant ce statut de préférence à celui d’entrepreneur, une aversion pour le risque, d’une certaine façon, ils se rachètent s’ils vivent le travail salarié avec entrain, esprit « proactif ».

Le slogan « travailler plus pour gagner plus » suscite la répulsion du côté de ceux qui n’adhèrent pas à ces impératifs de conduite, trop moralisateurs. En creux, ceux-là suggèrent une morale inverse du non-travail : le mouvement séculaire de réduction du temps de travail n’a pas ôté leur colonne vertébrale aux individus et à nos sociétés ; les ouvriers se tiennent, ont une dignité, même avec plus de loisirs ; la société ne part pas à vau-l’eau.

Pour autant ils ne nous disent rien sur le travail lui-même : pourquoi, le travail reste-t-il valorisé ; pourquoi les salariés lui gardent-ils de l’attachement ? Autrefois, les penseurs socialistes avaient leurs théories du travail comme valeur positive (chez Marx : s’il n’est pas aliéné dans les rapports capitalistes, il est le support par lequel l’homme se transforme).

Vertu d’une société où les gens se soumettent au travail, d’un côté ; vertu d’une société où on les libère du travail, de l’autre. Mais on occulte l’ambivalence du rapport au travail. Ce que nos concitoyens nous font voir tous les jours, c’est qu’ils apprécient l’activité de travail mais aussi d’en être libérés (en fin de journée, le week-end, du­rant des vacances).

Activité s’exerçant dans un cadre salarié, libéral, bénévole, peu importe. L’essentiel est qu’il y ait activité de travail. Celle-ci occupe (l’esprit, les mains), met les personnes face à des complications qui leur résistent et qui, quand elles sont parvenues à les vaincre, les grandissent, à leurs yeux et à ceux des autres. Ne pas travailler, c’est se retrouver face à soi dans le plus grand dénuement, dans un espace vide, pour éprouver son identité.

S’occuper dans une activité de travail, ce n’est ni se fuir, ni, à l’inverse, se rencontrer directement ; c’est, entrant en interaction avec des entités, découvrir ce que l’on est susceptible d’être, s’en instruire soi-même (identité pour soi) et aux yeux d’autrui (identité pour autrui). C’est pour cela que, quand on en finit avec le travail salarié au moment de la retraite, on peut chercher à « continuer de travailler » comme bénévole.

Des épreuves, il en faut. Mais, sans contradiction, on désire simultanément pouvoir se soustraire à ces épreuves : parce qu’elles usent, parce qu’elles n’apportent pas tout, etc. C’est pourquoi nous voulons travailler et ne pas travailler tout le temps.

Le rapport des salariés au travail est aujourd’hui tissé de ces nuances. Il devient urgent de rompre avec les théories univoques si nos dirigeants politiques et d’entreprises ne veulent pas s’éloigner d’une compréhension de leurs concitoyens.
Pascal Ughetto est maître de conférences en sociologie à l'Université Paris-Est.In Témoignage Chretien

jeudi 15 juillet 2010

La France Morcelée


JP LeGoff :
La parole du nouveau président se veut proche de la réalité de la « vie des gens », de leurs souffrances et de leurs sentiments. En dehors des textes lus et écrits par d’autres, le discours tend à s’aligner sur celui des grands médias audio-visuels en jouant sur le registre de l’authenticité, de l’émotion et de la dénonciation de tous les maux du pays. Il ne s’embarrasse guère de nuances dans l’appréciation de la réalité, l’important en l’affaire étant d’apparaître au plus près du peuple souffrant et d’afficher une volonté qui fait fi des nuances du langage et de la « lourdeur » des institutions. Peu soucieux du respect de la langue, les propos de certains responsables politiques sont hachés, à la limite du tutoiement, de l’argot ou du « parler banlieue ».
À l’ancien pouvoir informe succède une unité centrée autour de la personnalité du nouveau chef de l’État dans son volontarisme affiché de faire justice et de résoudre pratiquement les multiples problèmes de la société française. Ces derniers sont conçus comme autant de dossiers à traiter et d’objectifs à atteindre avec une « obligation de résultats ». Voilà qui intègre d’emblée l’effet médiatique comme dimension essentielle de la réalité. Dans le même temps, le nouveau style présidentiel bouscule les protocoles et les marques institutionnelles les plus voyantes qui distinguent l’État de la société [1]. La personnalisation du pouvoir passe par une implication plus étroite des goûts personnels et de la vie privée dans l’univers politique. Le pouvoir prend ainsi des allures de saga médiatique et mondaine qui fait le bonheur des journalistes et des maisons d’édition spécialisées dans ce type de publications [2].
Enfin, l’hyperactivité du président qui se porte sur tous les fronts donne l’image d’une course folle pour tenter de recoller une société morcelée et de rattraper le retard des réformes. L’activisme managérial et communicationnel participe d’une fuite en avant qui se présente désormais sur le thème de la rupture dont l’avenir du pays qu’elle dessine demeure toujours autant aussi énigmatique. Reprenant une formule employée dans d’autres circonstances, il est une politique pour laquelle « la fin n’est rien, le mouvement est tout », ou plus précisément : la complexité du monde actuel et la vitesse des évolutions dans tous les domaines sont telles que la seule politique possible consiste à s’adapter au plus vite, d’une façon qui se veut pragmatique et efficace à un mouvement devenu à lui-même sa propre fin.
Ces éléments ne sont pas, à vrai dire, d’une radicale nouveauté, déjà présents antérieurement, à droite comme à gauche, ils n’avaient pas la simplicité et la clarté qu’a su afficher le nouveau pouvoir comme autant de signes manifestes d’une volonté d’aller de l’avant.
Deux traits sont particulièrement frappants dans le style du nouveau pouvoir : un alignement de plus en plus étroit du discours politique sur la logique émotionnelle et spectaculaire des grands médias audio-visuels ; une façon de gouverner proche du management des entreprises qui se veulent à la pointe de la modernité.
Le président se place au centre de l’espace médiatique, multipliant les déclarations et les déplacements personnels sur tous les fronts, en veillant à la diffusion d’images et de messages « forts » qui meublent l’actualité et suscitent des commentaires redondants. Sachant que les grands médias audiovisuels sont friands d’« authenticité émotionnelle », le nouveau pouvoir a poussé jusqu’au bout la logique compassionnelle présente antérieurement en multipliant les déclarations en faveur des victimes les plus diverses. Les interventions du chef de l’État dans ce domaine font écho aux émissions télévisuelles qui étalent quotidiennement la subjectivité souffrante, donnent un large écho aux plaintes de toute nature avec des journalistes et des personnalités du show-biz qui enfourchent le rôle militant de défenseur des malades et des opprimés.
Le chef de l’État répond aux sollicitations des victimes en bousculant la justice, s’investit pratiquement dans des dossiers qui relèvent traditionnellement de ministères particuliers, s’implique dans les tentatives de résolution immédiate des multiples problèmes surgissant au gré de l’actualité et des faits-divers. Cette hyperactivité et cette manière de passer outre les responsabilités, l’expérience et les compétences présentes dans les différents ministères, ne sont pas sans rappeler la figure du jeune manager dynamique et performant, dirigeant ses subordonnés avec une motivation sans faille, remettant en cause les habitudes de travail et les organisations bureaucratiques dans une logique de performance totale au service du client-roi. Dans cette logique, la nation tend à être conçue sur le modèle d’une entreprise (l’« Entreprise France ») et la politique sur celui du management. La mise en scène politique et médiatique de l’activisme et de la compassion et peuvent jouer un rôle cathartique dans l’instant pour une société désorientée. Mais à l’image des spectacles et des vedettes de télévision, ils sont vite oubliés. Ses effets ne peuvent qu’être de courte durée et nécessitent donc un renouvellement incessant.

mercredi 14 juillet 2010

vendredi 9 juillet 2010

renaissance de l'ILE SEGUIN


L'île Seguin va renaître

Pierre-Christophe Baguet, député-maire de Boulogne-Billancourt, a présenté hier soir,jeudi 8 juillet, aux associations le projet d’aménagement de l’ile Seguin coordonné par Jean Nouvel.
L’île Seguin va renaître

Adrien Pouthier | 08/07/2010 | 10:14 | Aménagement

Pierre-Christophe Baguet, maire de Boulogne-Billancourt a lancé mercredi 7 juillet l’aménagement de l’Ile Seguin, projet urbain et culturel d’exception coordonné par Jean Nouvel, avec, pour le jardin de l’Ile Michel Desvigne, paysagiste urbain et Yann Kersalé, plasticien lumière.

“On tient le bon rêve”. C’est une sorte de “enfin” de soulagement qu’a prononcé Pierre-Christophe Baguet, député maire de Boulogne-Billancourt en commençant sa présentation du projet d’aménagement de l’Ile Seguin. Après plusieurs années d’attermoiements, l’ancien territoire myhtique des usines Renault va enfin pouvoir renaître et s’offrir aux Franciliens. “Une Ile Saint-Louis du XXIe siècle” pour Patrick Devedjian, Président du Conseil Général des Hauts-de-Seine ravi “de voir démarrer concrètement le projet”, “une Ile de la Cité” pour Jean Nouvel, architecte coordonateur du projet; en tout cas une ville dans la ville, un quartier à part mais central. Pour Boulogne comme pour le Grand Paris dont l’Ile Seguin veut être un territoire pilote.
Scène sur la Seine

11,5 hectares dont 8,5 hectares aménageables, 7 hectares de surfaces plantées, ce “bateau pétrifié” comme l’a qualifié Jean Nouvel, “scène sur la Seine” sera réorganisé autour d’un vaste jardin couvert imaginé par le paysagiste Michel Desvigne.
Les deux “pointes” de l’Ile verront se développer des programmes différents.

Sur la pointe aval : un grand ensemble musical, porté par le Conseil général des Hauts-de-Seine, avec deux salles : l’une de 600 à 800 places pour la musique classique et l’autre de 3000 à 5000 places pour les musiques amplifiées, des plateaux de répétition, des restaurants musicaux, le Conservatoire à rayonnement régional de Boulogne-Billancourt et la Maîtrise des Hauts-de-Seine.

Sur la pointe amont : l’île des arts contemporains, véritable « portail de l’art » réalisé par la société privée suisse Natural Le Coultre, avec des structures novatrices pour les artistes, galeristes, collectionneurs, artisans d’art et des salles d’exposition sur 20000 m2 . Le projet d’accueil de la fondation Cartier, le lieu de mémoire et le lieu d’exposition du fonds d’art contemporain de Renault ainsi que le Cube, équipement numérique de référence voué aux arts numériques, complèteront le pôle d’art contemporain.

Au centre de l’île, de multiples activités joueront la complémentarité : un ensemble cinématographique innovant de la société Europalace Pathé, un projet d’école supérieure d’arts numériques, le cirque numérique Bouglione, une résidence pour artistes, un hôtel… Tout le long de l’axe principal commercial et du grand jardin central sous verrière dessiné par Michel Desvigne, se succèderont espaces de convivialité, boutiques à caractère culturel et de loisirs, grandes entreprises emblématiques du secteur de la culture et des media. Celles-ci offriront au public des rez-de-chaussée ouverts et vivants.

Un rêve durable

L’aménagement sera totalement exemplaire en matière d’environnement : le projet tendra vers les 100% d’énergies renouvelables ; la gestion de l’eau sera innovante et les modes de déplacements alternatifs à la voiture seront privilégiés. L’accès de l’île se fera par des espaces verts boisés au débouché des ponts. Une promenade basse de 6m de large permettra l’accès direct à la Seine.
L’Ile Seguin sera le cœur de la future Vallée de la Culture initiée par le président du Conseil général des Hauts-de-Seine. Et au sommet des immeubles tertiaires, des “champs solaires” comme les a appelés Jean Nouvel, permettront une production d’énergie propre.
Pour réaliser ce “rêve”, le député-maire de Boulogne s’est appuyé sur l’agence pour la Vallée de la culture et sur la Saem Val de seine Aménagement. La ville et GPSO, communauté d’agglomération Grand Paris Seine Ouest, se partageront les 130 millions d’euros de financement prévus et de grands partenaires publics et privés ont accepté de “monter à bord”. L’Etat et le Conseil général des Hauts-de-Seine bien sûr, la Caisse des dépôts, mais aussi Fondation Cartier (”Les négociations sont très avancées” P.C. Baguet), Renault évidemment, Europalace Pathé, Natural Le Coultre, Madona Bouglione, Le Cube… Une révision simplifiée du PLU interviendra prochainement. La réalisation du “bon rêve” est prévue pour 2017-2018.
http://www.association-lafabrique.org/wordpress/archives/1246

jeudi 8 juillet 2010

mensonge


texte toujours vrai d'Eric Fiat dans le sens d'actualité ,il serait temps de le lire :
Le mensonge, du point de vue de l'éthique

(article paru dans la revue Soins Pédiatrie-Puériculture n°201 - août 2001)



La tradition philosophique, pour laquelle nous éprouvons gratitude et reconnaissance, a bien souvent présenté le philosophe comme l'homme ami du vrai. Pour Platon déjà, le mensonge était un crime contre la philosophie, et le philosophe, ami du savoir (philosophos), devait l'être également de la vérité (philalethes). Il a pour tâche de lever les voiles, les masques, comme l'enfant du conte d'Andersen, qui seul dit la nudité du Roi. C'est bien, d'ailleurs, ce que Calliclès disait à Socrate : "Tu fais l'enfant..." Nous ferons donc l'éloge de la sincérité et dirons la laideur du mensonge... Mais il nous faudra également dire les dangers de l'excessive sincérité, d'une exhibition impudique de la vérité. Nous terminerons enfin par une analyse de la fiction, c'est-à-dire des rapports entre le songe et le mensonge.

* * *

Il ne faut pas mentir. Voilà une évidence du sens commun, à laquelle chacun adhère spontanément, sans même avoir lu Emmanuel Kant, sans avoir même jamais songé à le lire un jour... Et il est vrai qu'il y a bien des raisons, tant esthétiques qu'éthiques, pour condamner le mensonge.

Le mensonge est esthétiquement condamnable

Qui se soucie d'esthétique le sait fort bien, il n'est pas beau de mentir! La franchise, la sincérité sont du côté de la belle droiture, quand le mensonge, la fourberie sont du côté de la courbure, du tordu. L'homme franc est droit, il expose avec une belle netteté son visage, son front. Les mots sortent de sa bouche avec l'impeccabilité, la spontanéité d'un bel accord de do majeur : la loyauté, la spontanéité, la probité, la rectitude ont la beauté d'Apollon. La dissimulation, la fausseté, l'hypocrisie, la sournoiserie sont en revanche laides. Duplicité du menteur : le "di-able" [1] ne fut pas pour rien représenté par un serpent, c'est-à-dire par l'animal à la langue fourchue. Regardez cet enfant tenter ses premiers mensonges... Son regard est fuyant, son corps même se tord sous l'effet du mensonge. Les mots sortent avec peine de sa bouche, tout est en lui biaisé, tordu. Quand il aura développé ses dons de comédien, quand il aura appris à "bien mentir", il jouera alors la franchise, la netteté, exposant son visage et son front avec une excessive et ostentatoire droiture [2]. On pourra dire alors qu'il ment effrontément, de façon éhontée : car tout se passe comme si son front (ce qu'il y a de plus droit en son corps) l'obligeait à la franchise, à la droiture. Et il se sentira inévitablement sale, laid et moche si, d'aventure, on se rend compte qu'il a menti : "Il en rougit, le traître!" [3] Oui, celui dont le mensonge est découvert, celui qui "perd la face", comme le dit si bien la langue française, mériterait de perdre son front et devrait, au minimum, rougir d'avoir ainsi menti.
Tout montre que le mensonge, cette désertion de sa propre parole, est esthétiquement condamnable : le menteur est furtif, tordu, dissimulateur, sournois, double, biaisé, laid en somme. Beau est en revanche le sincère [4], celui qui ouvre son coeur avec franchise, c'est-à-dire avec liberté, noblesse, netteté et droiture. Il peut nous regarder droit dans les yeux, il fait bien l'homme, fait bien son métier d'homme.

Le mensonge est éthiquement condamnable

A cette disqualification esthétique du mensonge, Kant substituera une inoubliable disqualification éthique et ce, parce que pour le penseur de Konigsberg, le mal vient de la contradiction [5] et qu'il me suffit en vérité d'être un instant attentif à ce que me murmure ma propre raison et la loi morale qui s'y trouve, pour comprendre que le mensonge est un acte contradictoire, triplement contradictoire.
D'abord parce que le mensonge est contradiction entre la parole et la pensée, et qu'il ruine l'essence même de la parole qui est la confiance. Tout acte de parole promet la vérité, même - et surtout! - l'acte de parole qui ment et qui peut aller jusqu'à jurer qu'il dit vrai, alors qu'il ment. La société des hommes deviendrait vite infernale, si chacun devait se méfier de chacun. Je fais spontanément confiance au quidam auquel je demande mon chemin, perdu que je suis dans les rues de Metz ou de Bordeaux... Pourquoi ? Parce que tout se passe comme si me liait à lui une sorte de contrat de confiance, contrat antérieur à tous eux que je pourrais un jour signer avec lui, et qui en est la condition de possibilité. Comme disent fort bien les Anglais, je n'aurais de relations humaines avec lui que si je peux supposer qu'il "means what he says", qu'il est présent dans sa parole au moment où il me parle. Mentir, c'est violer l'essence même de la parole, laquelle devrait être le moyen d'expression de la pensée...
Il faut ensuite remarquer que le menteur ne veut pas qu'on lui mente. Mentir, c'est s'arroger un droit que l'on refuse à autrui, c'est contredire un principe auquel on reste attaché, parce qu'il s'agit là d'un principe dont on ne peut vouloir qu'il soit universellement contredit...
Et puis il faut enfin bien admettre que le menteur a toujours pour projet de ne pas mentir. Nous mentons à chaque fois, juste pour une fois ; à chaque fois, pour la dernière fois. Bref, nous mentons toujours à titre exceptionnel, précisément parce que la Loi morale ne cesse pas de parler en nous, au moment même où nous lui désobéissons... Même quand je me trouve des raisons de mentir - de "bonnes-mauvaises" raisons de mentir -, je sais bien que je n'ai cependant pas raison de mentir, parce que le mensonge est un acte contradictoire en soi, donc contraire à la raison.
Telle est la démonstration de Kant [6], qui nous demande d'être simplement attentif une seconde à cette voix de la Loi morale qui parle en nous, nous interdit impérativement tout mensonge, et qui parle en l'enfant le plus enfantin : même Pinocchio est assisté d'un Jiminy Cricket qui l'enjoint de ne pas mentir... Il entend "la voix de sa conscience" [7], même s'il ne l'écoute pas, même s'il agit contrairement à ce qu'elle lui dit.
Mais pourquoi, cependant, ne l'écoute-t-il pas ?

Pourquoi l'homme ment-il ?

Pour rester heureux ou pour le devenir. En vérité, la plupart de nos mensonges ont pour mobile ce que Kant, encore une fois, appelle l'amour de soi [6]. Je mens pour ne pas être ridicule aux yeux d'autrui, pour être aimé. Mentir, c'est faire passer son bonheur avant son devoir : je ne me lève pas le matin avec l'intention de mentir, mais avec celle d'être sincère, "vérace", comme disent les philosophes [8]. Mais voici que déjà surgit toute une série de cas où mon devoir d'être vérace contrarie mon désir naturel d'être aimé, admiré, d'être heureux enfin... C'est donc par amour de moi-même [9] que je vais me permettre de faire une exception à une règle à laquelle je reste foncièrement attaché : celle qui commande de ne pas mentir. C'est donc par faiblesse plus que par réelle méchanceté que je vais mentir, parce que j'éprouve pour moi-même "un faible". Comme le disait Vladimir Jankélévitch : "Le diable n'est fort que de notre faiblesse : qu'il soit faible de notre force!" [10].
Le mal vient donc de l'exception, laquelle, animée d'un vice étrange qui la contredit dans son essence même, va tendre à se répéter... "Demain, je travaille", avait pour devise un ami paresseux. "Demain, j'arrête de mentir", avons-nous tous, peu ou prou, pour devise...

Le mensonge pour l'amour d'autrui

Mais il y a aussi ces mensonges que je fais, non par amour de moi-même, mais par amour pour autrui : c'est ce qu'on appelle le mensonge pieux.
Il convient cependant d'être prudent : combien souvent, sous la belle apparence du mensonge pieux, se cache la mesquine réalité du mensonge par amour de soi! Je ne dis pas à autrui la vérité qui pourrait le blesser, mais c'est aussi pour ne pas avoir à subir sa tristesse ou sa colère, ou à porter le poids de son désespoir. Qu'il est fatigant de devoir consoler un ami malheureux! "Mais non, ce costume te va bien! Mais non, tu étais très bien, mon grand!". Les moralistes du XVIIe siècle ont consacré l'essentiel de leur industrie à révéler les extrêmes raffinements de l'amour-propre et ont traqué impitoyablement, au fond de tout acte apparemment généreux, la secrète impulsion de l'amour de soi.
Un peu de La Rochefoucauld nous en informe assez : "La sincérité est une ouverture de coeur. On la trouve en fort peu de gens, et celle que l'on voit d'ordinaire n'est qu'une fine dissimulation, pour attirer la confiance des autres." (Maxime 62).
"Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés" (Maxime 171).
"Nous aurions souvent honte de nos bonnes actions,si le monde voyait tous les motifs qui les produisent" (Maxime 409) [11].
Mais imaginons que cela existe, le mensonge par amour d'autrui. Le problème moral n'en serait pas réglé pour autant. Une querelle sur le mensonge pieux opposa le même Kant au philosophe et écrivain français Benjamin Constant. Contrairement à ce dernier, Kant refusait toute possibilité d'un droit au mensonge, même dans l'intérêt d'autrui. Pourquoi ? Parce que je ne saurais "faire le bien" d'autrui en lui mentant : mentir à autrui, c'est le mépriser, le considérer comme indigne de recevoir la vérité. De même qu'il est plus grave de n'être pas jugé que de l'être sévèrement (juger quelqu'un, c'est le considérer responsable de son acte, donc respecter sa dignité d'être de raison), de même on blesse plus l'autre en lui mentant qu'en lui disant une vérité blessante (dérober la vérité à autrui, c'est le maintenir dans un état d'ignorance et, là encore, ne pas respecter sa dignité d'être de raison).
Non pas du tout qu'il faille, pour être kantien, jouer les Alceste et prétendre, comme celui que Molière qualifiait à raison de misanthrope, dire à chacun brutalement "ses quatre vérités" : "Oui, je veux que l'on soit homme, et qu'à chaque rencontre le fond de notre coeur en nos discours se montre" [12], assénait Alceste à Philinte, avec la fougue orgueilleuse du redresseur de torts. Mais est-il moral de s'ériger ainsi en censeur des actions d'autrui, de juger tout le monde, en n'ayant bonne opinion que de soi, de se faire le vengeur des intérêts du ciel ? Certes pas, et les anciens l'avaient bien compris, qui faisaient de la suraffirmation de la vertu, un vice abhorré : il faut être vertueux, mais sans montre ; quand on fait reproche aux autres, par son exemplarité, du fait que eux ne sont pas dans la vertu, on cesse d'être vertueux.
Kant ne nous demande donc nullement de jouer les Alceste, mais seulement de dire la vérité à autrui, si ce dernier la demande, et encore de la lui dire avec tact, avec cette douceur "déniaisée" dont Jean Cocteau faisait si bien l'éloge.
Il n'en demeure pas moins que pour Kant, "la véracité dans les déclarations que l'on ne peut éviter" demeure un devoir, "le devoir formel envers chacun, quelque grave inconvénient qu'il en puisse résulter" [6].
La perplexité nous prend...
D'un côté, on comprend très bien le philosophe allemand, qui a beau jeu de montrer combien souvent se cache, sous cette prétendue piété, une pitié méprisante. Qui aimerait être objet de pitié ? Comme le disait Balzac, la pitié tue et affaiblit encore notre faiblesse.
Mais d'un autre côté, peut-on dire sans sourciller que tout homme a droit à la vérité ? L'indiscret, le criminel ont-ils droit à la vérité ? N'est-il pas inconséquent, et moralement coupable, de ne pas se soucier de l'usage qu'ils pourraient être amenés à faire de ladite vérité ? Dire à l'agent de la Gestapo que Yehudi n'est pas caché chez moi, alors qu'il y est, c'est, bien sûr, lui cacher la vérité, mais c'est peut-être aussi lui dire une vérité plus vraie que le vrai. Il est vrai qu'il y est, mais il est tout aussi vrai qu'il n'y est pas pour vous...
Le bon sens, qui fait passer l'humanisme avant le rationalisme, n'a donc pas tout à fait tort, qui voit dans l'application stricte des principes kantiens sécheresse de coeur : il existe, d'évidence, des cas où le mensonge est un droit, peut-être même un devoir et des cas où l'exception est un droit, voire peut-être un devoir.
Le kantien répondra que blesser la vérité, c'est aussi blesser autrui, que commencer à se donner un droit à l'exception est fort dangereux, puisque c'est précisément toujours à titre exceptionnel que ment le plus effronté des menteurs! Il est vrai!
A nouveau, la perplexité nous prend face à un Kant, pur et dur, avec ce que la pureté a d'admirable et ce que la dureté a d'inquiétant. Ce philosophe, parce qu'il fonde la morale sur la seule raison, nous murmure que le mensonge est toujours immoral, toujours irrespectueux d'autrui. Mais n'y a-t-il pas là quelque chose comme un usage imprudent de la raison ?
Nous mesurons ici à nouveau à quel point le tragique - l'indécidable, la contradiction vécue dans la crainte et le tremblement - fait partie de la vie éthique. Qu'il y ait des cas où la question du mensonge et de la sincérité est tragique, est une évidence trop bien connue par les soignants, et il faut dire avec force que le tragique n'est pas soluble dans l'éthique.
Cela ne doit cependant pas nous décourager de rechercher les fondements d'une éthique du mensonge, laquelle tenterait de concilier devoir de véracité et droit à l'exception.
Au fond, il faudrait trouver un moyen qui fasse que l'exception demeure exceptionnelle...
Et puis, il ne serait déjà pas si mal de retenir de la lecture d'Emmanuel Kant la décision de ne plus se permettre que quelques mensonges pieux, laissant à d'autres le vil et médiocre mensonge par amour de soi.

Pour une éthique du mensonge

Faut-il dire la vérité à l'enfant malade ? Toujours s'il la demande, répondrait Kant. Jamais, répondrait Jankélévitch, car ce serait alors ajouter à sa souffrance "la torture du désespoir" [13].
Entre ces deux réponses, également bien fondées, il nous paraît urgent de ne pas choisir. La révélation brutale d'un diagnostic mortel est scandale : on suffoque le malade, ses capacités de réception et de compréhension sont d'emblée saturées, et on le voue alors soit au déni et à la révolte agressive, soit au repli, au mutisme accablé.
Mais le mensonge, la dissimulation pieuse sont tout aussi scandales. On n'a pas le droit de voler à l'autre sa mort, cette rencontre décisive avec soi-même, avec sa plus secrète intériorité, que peut permettre l'approche de la mort. On méprise celui que l'on maintient dans un état d'ignorance. Et puis pouvons-nous croire que l'enfant ne devine pas, plus ou moins consciemment, qu'on lui ment ?
Expert en communication infra-verbale, attentif à tous les signes qui trahissent le mensonge - dérobade du regard, tremblement des lèvres et des mains, clignement des yeux, fausseté du sourire, douceur suspecte... -, l'enfant devine, plus ou moins consciemment mais d'intuition souveraine, quand on lui ment. Alors son imagination se met en action! Et c'est l'imagination, "maîtresse d'erreur et de fausseté" [14] comme le disait Pascal, qui va le conduire à imaginer le pire. Que me cacherait-on, qui ne fût monstrueux ? Ses parents lui cachent la mort de sa grand-mère ? Il fait semblant de les croire, mais sa souffrance inconsciente lui fait faire des rêves où ses parents se montrent les meurtriers de la grand-mère... On lui cache l'origine sexuelle de son existence ? Il la devine cependant trop bien : mais si ses parents ont honte de leur sexualité, c'est que la sexualité est chose honteuse! Difficile adolescence en perspective...
Au reste, puisque nous parlons d'amour, tentons une analogie osée : car il y a quelque chose comme une érotique de la vérité.

Eloge de la pudeur

Aristote, pour qui la vertu est toujours juste mesure entre deux vices (l'un par défaut, l'autre par excès [15]), faisait de la pudeur la juste mesure entre la honte et l'obscénité. Mais il faut dire que cette belle vertu est aussi le piment du désir! Quel est le corps le plus désirable ? Celui qui n'est ni tout à fait voilé, ni tout à fait dévoilé. La puritaine, qui cache son corps sous maintes armures, décourage le désir, mais l'impudique, qui l'exhibe avec obscénité, coupe l'herbe sous le pied du désir! Il faut que le corps soit pour un temps dérobé au regard pour qu'il puisse devenir objet de désir : imaginé, attendu, désiré... Baudelaire avait tout dit, qui lie l'érotisme au clair-obscur [16].
De même, une juste mesure est à inventer, entre l'exhibition obscène de la vérité et sa dissimulation honteuse. L'enfant a le droit de ne souffrir ni de l'une ni de l'autre. Encore faut-il ajouter que cette juste mesure n'est pas donnée de toute éternité, parce qu'elle est à réinventer à chaque fois, pour chaque enfant, car tous n'ont pas le même rapport à la vérité. Faut-il dire ce que l'on croit vrai à l'enfant ? Oui, si cela le regarde, mais cela s'accompagne de pudeur et de finesse, et de ce sentiment du moment où la révélation est possible, de ce sens de l'occasion propice, du "kairos", comme disait, là encore, le grand Aristote [17]. Comme nous le voyons, cette éthique d'inspiration aristotélicienne, qui invite l'home à la prudence, est à mille lieues de la pure et dure moralité kantienne. Il fallait pour le maître grec éviter un usage imprudent de la raison, se soucier des conséquences possibles de l'action apparemment rationnelle, de ses possibles effets pervers, enfin n'agir qu'à propos.
Mais il nous faut à présent terminer par une approche du mensonge comme fiction poétique, car n'est-ce pas ainsi que l'enfant en fait d'abord la découverte ?

Le mensonge est-il une fiction poétique ?

Pour être un "bon menteur", il faut jouir de trois facultés :
Une bonne mémoire pour se souvenir des mensonges que l'on fait ;
De l'imagination ;
Des dons de comédien [18]. Mais alors que l'adulte menteur se sert généralement de ces trois facultés par fourberie, pour abuser autrui - et ne développe que des récits vraisemblables, ayant l'air ou les accents de la vérité -, l'enfant les utilise ordinairement plutôt dans le but de s'arracher au monde donné, afin d'en créer un autre, plus conforme à son désir, et qu'il ne songe même pas à faire passer pour réel. Il éprouve alors ce que Nicolas Grimaldi appelle admirablement "la griserie d'entrer en dissidence par rapport au réel" [19]. Faut-il le lui reprocher ?
Oui, disait Platon, qui haïssait en tout le "pseudos" [20] - terme qui, chez lui, désignait le mensonge, la fausseté, l'erreur, mais aussi la fiction poétique -, et aurait voulu chasser les poètes de sa cité idéale. Non, répondait La Fontaine : "Qui mentirait comme Esope et comme Homère, un vrai menteur ne serait : le doux charme de maint songe par leur bel art inventé, sous les habits du mensonge nous offre la vérité" [21].
Le mot mensonge viendrait du latin "mens", qui veut dire esprit, et de "songe", rêve. Le mensonge comme songe de l'esprit... Mais ne s'agit-il pas là d'une étymologie... mensongère et fausse ? Qu'importe au fond, et ce pour deux raisons. La première est que ce jeu de mots donne au fabuliste l'occasion de rimes riches et d'une fable admirable. La seconde est qu'il nous est murmuré ici que l'enfant et l'adulte, qui ne gaspillerait pas tout de la grâce à laquelle il était promis, ont besoin de rêveries : que vivent le père Noël et la petite souris! Nous admirons l'héroïsme d'un homme qui comme Socrate tente de se tenir debout en refusant toute forme d'illusion. Mais nous pensons, aussi, que la pratique de la vie ne va pas sans une certaine "théâtralisation" de notre destin,, et qu'il faut parfois "jouer" pour trouver en soi le personnage capable d'assumer la complexité du réel...

Conclusion

Ainsi, il nous semble qu'aux rationalismes purs, mais durs, d'un Kant ou d'un Platon - qui après avoir emprunté des chemins différents arrivent à la même conclusion : une condamnation sans appel du mensonge -, pourrait s'opposer une éthique plus prudente. Qu'il y ait dans tout mensonge laideur et mesquine contradiction est vrai, mais que tout mensonge soit immoral ne l'est pas. Que mentir à autrui, ce soit le mépriser, nous semble peu contestable, mais qu'il y ait quelque chose comme un droit de garder pour soi, de dissimuler, de résister à la demande de vérité, d'aveu ou de transparence publique, quelque chose comme un droit au for intérieur, au silence, au secret, et même à la fiction, nous paraît tout aussi incontestable... Toutefois il nous faudrait trouver un moyen qui fasse que le mensonge, c'est-à-dire l'exception, demeure exceptionnel...
Lorsque l'on ne sait plus que faire, agissons comme la "Madeleine à la veilleuse" de Georges de La Tour : la fragile lumière d'une chandelle peut révéler ce qui se cachait dans l'obscurité. La philosophie est cette lumière fragile, elle se trouve dans l'oeil de tout homme de bonne volonté, car dans nos yeux, où tristesse, remords, incertitude et mensonge ont leur gîte, luit aussi la lumière de la conscience.

Eric Fiat

mardi 6 juillet 2010

Du mouvement à Nantes


Allez visiter la machine vous y verrez du rêve et du mouvement , mais pas le bougisme ambiant. C'est extra .

lecture de l'été


très forte plume décrivant une vision très différente de la thèse classique de la formation de la diaspora qui se serait crée par le prosélytisme, alors que ceux qui sont restés en Israël se sont assimilés .