vendredi 20 août 2010

L'amour de soi et la haine des autres


Une voie forte pour montrer la voie à suivre

Le Monde du 18/08/2010
Eric Fottorino
La délinquance urbaine est depuis trop longtemps un fléau que ni la droite ni la gauche n'ont su combattre. Cette violence sur les personnes frappe d'abord les plus modestes, nourrissant chez eux un sentiment légitime d'injustice et de frustration, de colère aussi, à la mesure de l'impuissance publique.Par son discours de Grenoble du 30 juillet, le président Sarkozy a voulu conjurer la faillite de sa politique en déclenchant une offensive sécuritaire choquante.

"Guerre" à la délinquance, "déchéance de nationalité pour les Français d'origine étrangère". Lien établi entre immigration et criminalité. Stigmatisation des gens du voyage aux "grosses cylindrées", dixit Brice Hortefeux. Notion, contraire au droit, de "présumé coupable" proférée par le même ministre de l'intérieur, condamné en première instance pour injure raciale, et qui a trouvé à Nantes une cible sur mesure de voleur-violeur-exciseur-polygame.
De quoi jeter l'opprobre sur tous les musulmans, comme lorsque, en 2007, le candidat Sarkozy évoquait "les moutons tués dans les appartements". Sous couvert d'assistance à populations en danger perce l'électoralisme cynique d'un chef de l'Etat qui semble chercher d'abord à sécuriser une victoire en 2012. Aucune fin ne saurait justifier de tels moyens, alors que l'ONU dénonce une montée de la xénophobie en France.
Depuis la "racaille" et le "Kärcher", ces marques de fabrique du sarkozysme, depuis la création du ministère de l'identité nationale et de l'immigration, rapprochement douteux suggérant que la seconde menace la première, le président construit le même mur. Celui des préjugés, des stéréotypes, des ennemis de l'intérieur. Celui de la défiance entre un Eux et un Nous, entre la France des "vrais" Français et la souffrance de tous ceux qui ne volent ni ne tuent, mais portent les stigmates de l'étranger. Le chemin a rarement été aussi court entre l'amour de soi et la haine des autres. La désignation de boucs émissaires n'effacera pourtant jamais la délinquance ni l'affaire Woerth-Bettencourt.
Le résultat est là : les mots ont été choisis comme autant d'armes qui créent la polémique et anesthésient la pensée. Par sa brutalité verbale et physique - on ne parle plus que de démantèlements de camps roms illégaux -, le pouvoir ferme la porte à toute réflexion intelligente. Là où il faudrait proposer, on ne peut que protester. Langage d'exclusion, d'élimination. Refus de remonter à la source des maux. Jeter les gens à la rue, miser sur la répression et réduire les moyens éducatifs : n'est-ce pas la pire manière de combattre la délinquance ?
Cette politique de l'humiliation donne une vision dégradante de l'action publique. La France n'est pas un pays raciste. Mais en activant les pulsions du racisme, l'exécutif bafoue nos principes et nos valeurs. L'article premier de la Constitution, faut-il le rappeler, affirme que la République "assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion".
Eric Fottorino

mardi 10 août 2010

De la dignité


Eric Fiat, philosophe, maître de conférences à l'Université Paris-est Marne-la-Vallée

Il fut, ces derniers temps, souvent question de dignité. L'article du Monde co-signé par M. Rocard et S. Veil posait que "porter atteinte à la dignité de la personne, c'est porter atteinte à la République". Les défenseurs des ministres en ont appelé au respect de leur dignité d'hommes. Tandis que leurs accusateurs ont fait de leur démission la conséquence logique de leurs indignes conduites. Tout récemment encore, le président de la République louait que M. Woerth fût demeuré d'une exemplaire dignité malgré les "calomnies". Oui, dans l'actualité récente il fut souvent question de dignité. N'y a-t-il pas alors quelque urgence à réfléchir à nouveau à cette belle valeur, qui sature de sa présence à la fois solennelle et creuse tant de discours inspirés ? C'est bien ce que nous croyons. Revenons alors vite à ce qu'un Kant en disait, dont le rappel nous paraît aujourd'hui fort urgent. A savoir que si tous les hommes sont dignes, leurs conduites en revanche ne le sont pas toutes également. Il faut donc distinguer entre l'homme et sa conduite, et ce distinguo n'a rien d'un marchandage. Ce qui revient à dire que si "les hommes [politiques] ne sont certes pas de saints, l'humanité en revanche est sainte en eux."

CF Le Monde du 09/08/2010

mardi 3 août 2010

Roms et "gens du voyage"

Roms et "gens du voyage" : briser l'engrenage de la violence
LEMONDE.FR | 27.07.10 | 09h57 • Mis à jour le 30.07.10 | 15h23

Urba-Rom, regroupement de chercheurs européens

Ces derniers mois, les Roms roumains et bulgares qui vivent en situation précaire dans les grandes villes françaises sont régulièrement pris pour cible dans les discours officiels. Après les déclarations du secrétaire d'Etat aux affaires européennes, Pierre Lellouche, il y a cinq mois, c'est au tour du chef de l'Etat de mentionner, le 11 juin, l'"épineuse question des délinquants itinérants originaires de l'Est, notamment de Roumanie". Le 22 juillet, Nicolas Sarkozy dénonçait à nouveau les "problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms".

A tort, et comme cela a déjà été souligné dans de nombreux articles et interventions, les plus hautes sphères de l'Etat font l'amalgame entre les migrants roms originaires d'Europe centrale et des Balkans et les "gens du voyage", citoyens français. Il faut manifestement le rappeler, le terme "gens du voyage" est une catégorie inventée par l'administration française au cours du XXe siècle pour désigner des populations françaises mal identifiées du fait de leur mode de vie itinérant (les Manouches, les Gitans, les forains, les Yéniches, etc.). De plus, il n'existe pas de recensement "ethnique" des populations en France, ce qui invalide de fait toute approche "ethnicisée" des faits de soi-disant délinquance et/ou de criminalité rapportés.

En définitive, les politiques répressives – car c'est bien de cela qu'il s'agit – actuellement en cours de construction et justifiées par les déclarations officielles, sont donc construites sur la base de faits divers comme les événements survenus ces derniers jours à Saint-Aignan, dans le Loir-et-Cher. Ainsi, on part de faits isolés concernant quelques individus pour décider une politique générale qui devrait s'appliquer à l'ensemble d'une communauté largement fantasmée. Ce qui est marquant dans ce dispositif, c'est que les déclarations tenues sur ces familles et ces groupes ont permis de réalimenter des pensées archaïques et racistes toujours prégnantes, à un point tel que plusieurs sites d'information ont dû fermer leurs forums.

L'Histoire montre que le déchaînement de la violence symbolique s'accompagne généralement de violences physiques à l'endroit des groupes désignés, et parfois au-delà. Dans un contexte de crise économique, sociale et politique, les Roms ont, à plusieurs reprises, servi d'exutoire au mécontentement populaire en Europe au cours des dernières années. A la suite de faits divers largement relayés par les pouvoirs publics et les médias italiens, des expéditions punitives ont été organisées dans les bidonvilles sommairement installés dans les périphéries de Naples et de Rome, tandis que des personnes étaient agressées ici et là. Un scénario similaire a pu être observé en Hongrie où la montée de l'anti-tsiganisme est un fait avéré. Il en va de même pour d'autres pays d'Europe centrale.

UNE AUGMENTATION SUBITE DES RÉACTIONS D'HOSTILITÉ

Aujourd'hui, la situation est-elle si différente en France ? Ces derniers temps, l'administration multiplie les actions à l'encontre de Roms et de "gens du voyage" : les préfets, manifestement sous pression, se sont lancés dans la course aux expulsions. D'une part, on assiste depuis deux mois à l'évacuation systématique des bidonvilles des immigrants roumains en région parisienne, en particulier en Seine-Saint-Denis. D'autre part, on s'attèle désormais à l'expulsion de "gens du voyage", une cible aisée en cette période estivale de rassemblements religieux tsiganes, par exemple à Mably. Enfin, on note ces derniers jours, au niveau local, une augmentation subite des réactions d'hostilité à l'égard de ces personnes dites "gens du voyage", et, cela va sans dire, une progression des sentiments de peur parmi ces derniers.

Sans doute, les pouvoirs en place sont-ils en partie responsables de cette situation ô combien dangereuse. Cependant, en commentant les propos tenus par le chef de l'Etat, les médias, les acteurs associatifs, les universitaires, etc., participent à la transformation d'un fait divers en problème public, en même temps qu'ils contribuent à l'ethnicisation du débat sécuritaire. Aussi peut-on penser qu'il est de notre responsabilité à tous – responsables politiques, journalistes, société civile, intellectuels et, plus largement citoyens – de briser, ou de tenter de briser, l'engrenage de la violence.



Céline Bergeon, Marie Bidet, Grégoire Cousin, Samuel Delépine, Régis Guyon, Olivier Legros, Martin Olivera, Vincent Ritz et Xavier Rothéa ; membres du réseau Urba-Rom.

Urba-Rom regroupe une centaine de chercheurs européens et vise en particulier à assurer une veille scientifique sur les questions liées aux politiques en direction des groupes dits "Roms-Tsiganes".
Urba-Rom, regroupement de chercheurs européens

Roms et "gens du voyage"

Roms et "gens du voyage" : briser l'engrenage de la violence
LEMONDE.FR | 27.07.10 | 09h57 • Mis à jour le 30.07.10 | 15h23

Urba-Rom, regroupement de chercheurs européens

Ces derniers mois, les Roms roumains et bulgares qui vivent en situation précaire dans les grandes villes françaises sont régulièrement pris pour cible dans les discours officiels. Après les déclarations du secrétaire d'Etat aux affaires européennes, Pierre Lellouche, il y a cinq mois, c'est au tour du chef de l'Etat de mentionner, le 11 juin, l'"épineuse question des délinquants itinérants originaires de l'Est, notamment de Roumanie". Le 22 juillet, Nicolas Sarkozy dénonçait à nouveau les "problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms".

A tort, et comme cela a déjà été souligné dans de nombreux articles et interventions, les plus hautes sphères de l'Etat font l'amalgame entre les migrants roms originaires d'Europe centrale et des Balkans et les "gens du voyage", citoyens français. Il faut manifestement le rappeler, le terme "gens du voyage" est une catégorie inventée par l'administration française au cours du XXe siècle pour désigner des populations françaises mal identifiées du fait de leur mode de vie itinérant (les Manouches, les Gitans, les forains, les Yéniches, etc.). De plus, il n'existe pas de recensement "ethnique" des populations en France, ce qui invalide de fait toute approche "ethnicisée" des faits de soi-disant délinquance et/ou de criminalité rapportés.

En définitive, les politiques répressives – car c'est bien de cela qu'il s'agit – actuellement en cours de construction et justifiées par les déclarations officielles, sont donc construites sur la base de faits divers comme les événements survenus ces derniers jours à Saint-Aignan, dans le Loir-et-Cher. Ainsi, on part de faits isolés concernant quelques individus pour décider une politique générale qui devrait s'appliquer à l'ensemble d'une communauté largement fantasmée. Ce qui est marquant dans ce dispositif, c'est que les déclarations tenues sur ces familles et ces groupes ont permis de réalimenter des pensées archaïques et racistes toujours prégnantes, à un point tel que plusieurs sites d'information ont dû fermer leurs forums.

L'Histoire montre que le déchaînement de la violence symbolique s'accompagne généralement de violences physiques à l'endroit des groupes désignés, et parfois au-delà. Dans un contexte de crise économique, sociale et politique, les Roms ont, à plusieurs reprises, servi d'exutoire au mécontentement populaire en Europe au cours des dernières années. A la suite de faits divers largement relayés par les pouvoirs publics et les médias italiens, des expéditions punitives ont été organisées dans les bidonvilles sommairement installés dans les périphéries de Naples et de Rome, tandis que des personnes étaient agressées ici et là. Un scénario similaire a pu être observé en Hongrie où la montée de l'anti-tsiganisme est un fait avéré. Il en va de même pour d'autres pays d'Europe centrale.

UNE AUGMENTATION SUBITE DES RÉACTIONS D'HOSTILITÉ

Aujourd'hui, la situation est-elle si différente en France ? Ces derniers temps, l'administration multiplie les actions à l'encontre de Roms et de "gens du voyage" : les préfets, manifestement sous pression, se sont lancés dans la course aux expulsions. D'une part, on assiste depuis deux mois à l'évacuation systématique des bidonvilles des immigrants roumains en région parisienne, en particulier en Seine-Saint-Denis. D'autre part, on s'attèle désormais à l'expulsion de "gens du voyage", une cible aisée en cette période estivale de rassemblements religieux tsiganes, par exemple à Mably. Enfin, on note ces derniers jours, au niveau local, une augmentation subite des réactions d'hostilité à l'égard de ces personnes dites "gens du voyage", et, cela va sans dire, une progression des sentiments de peur parmi ces derniers.

Sans doute, les pouvoirs en place sont-ils en partie responsables de cette situation ô combien dangereuse. Cependant, en commentant les propos tenus par le chef de l'Etat, les médias, les acteurs associatifs, les universitaires, etc., participent à la transformation d'un fait divers en problème public, en même temps qu'ils contribuent à l'ethnicisation du débat sécuritaire. Aussi peut-on penser qu'il est de notre responsabilité à tous – responsables politiques, journalistes, société civile, intellectuels et, plus largement citoyens – de briser, ou de tenter de briser, l'engrenage de la violence.



Céline Bergeon, Marie Bidet, Grégoire Cousin, Samuel Delépine, Régis Guyon, Olivier Legros, Martin Olivera, Vincent Ritz et Xavier Rothéa ; membres du réseau Urba-Rom.

Urba-Rom regroupe une centaine de chercheurs européens et vise en particulier à assurer une veille scientifique sur les questions liées aux politiques en direction des groupes dits "Roms-Tsiganes".
Urba-Rom, regroupement de chercheurs européens