
JP LeGoff :
La parole du nouveau président se veut proche de la réalité de la « vie des gens », de leurs souffrances et de leurs sentiments. En dehors des textes lus et écrits par d’autres, le discours tend à s’aligner sur celui des grands médias audio-visuels en jouant sur le registre de l’authenticité, de l’émotion et de la dénonciation de tous les maux du pays. Il ne s’embarrasse guère de nuances dans l’appréciation de la réalité, l’important en l’affaire étant d’apparaître au plus près du peuple souffrant et d’afficher une volonté qui fait fi des nuances du langage et de la « lourdeur » des institutions. Peu soucieux du respect de la langue, les propos de certains responsables politiques sont hachés, à la limite du tutoiement, de l’argot ou du « parler banlieue ».
À l’ancien pouvoir informe succède une unité centrée autour de la personnalité du nouveau chef de l’État dans son volontarisme affiché de faire justice et de résoudre pratiquement les multiples problèmes de la société française. Ces derniers sont conçus comme autant de dossiers à traiter et d’objectifs à atteindre avec une « obligation de résultats ». Voilà qui intègre d’emblée l’effet médiatique comme dimension essentielle de la réalité. Dans le même temps, le nouveau style présidentiel bouscule les protocoles et les marques institutionnelles les plus voyantes qui distinguent l’État de la société [1]. La personnalisation du pouvoir passe par une implication plus étroite des goûts personnels et de la vie privée dans l’univers politique. Le pouvoir prend ainsi des allures de saga médiatique et mondaine qui fait le bonheur des journalistes et des maisons d’édition spécialisées dans ce type de publications [2].
Enfin, l’hyperactivité du président qui se porte sur tous les fronts donne l’image d’une course folle pour tenter de recoller une société morcelée et de rattraper le retard des réformes. L’activisme managérial et communicationnel participe d’une fuite en avant qui se présente désormais sur le thème de la rupture dont l’avenir du pays qu’elle dessine demeure toujours autant aussi énigmatique. Reprenant une formule employée dans d’autres circonstances, il est une politique pour laquelle « la fin n’est rien, le mouvement est tout », ou plus précisément : la complexité du monde actuel et la vitesse des évolutions dans tous les domaines sont telles que la seule politique possible consiste à s’adapter au plus vite, d’une façon qui se veut pragmatique et efficace à un mouvement devenu à lui-même sa propre fin.
Ces éléments ne sont pas, à vrai dire, d’une radicale nouveauté, déjà présents antérieurement, à droite comme à gauche, ils n’avaient pas la simplicité et la clarté qu’a su afficher le nouveau pouvoir comme autant de signes manifestes d’une volonté d’aller de l’avant.
Deux traits sont particulièrement frappants dans le style du nouveau pouvoir : un alignement de plus en plus étroit du discours politique sur la logique émotionnelle et spectaculaire des grands médias audio-visuels ; une façon de gouverner proche du management des entreprises qui se veulent à la pointe de la modernité.
Le président se place au centre de l’espace médiatique, multipliant les déclarations et les déplacements personnels sur tous les fronts, en veillant à la diffusion d’images et de messages « forts » qui meublent l’actualité et suscitent des commentaires redondants. Sachant que les grands médias audiovisuels sont friands d’« authenticité émotionnelle », le nouveau pouvoir a poussé jusqu’au bout la logique compassionnelle présente antérieurement en multipliant les déclarations en faveur des victimes les plus diverses. Les interventions du chef de l’État dans ce domaine font écho aux émissions télévisuelles qui étalent quotidiennement la subjectivité souffrante, donnent un large écho aux plaintes de toute nature avec des journalistes et des personnalités du show-biz qui enfourchent le rôle militant de défenseur des malades et des opprimés.
Le chef de l’État répond aux sollicitations des victimes en bousculant la justice, s’investit pratiquement dans des dossiers qui relèvent traditionnellement de ministères particuliers, s’implique dans les tentatives de résolution immédiate des multiples problèmes surgissant au gré de l’actualité et des faits-divers. Cette hyperactivité et cette manière de passer outre les responsabilités, l’expérience et les compétences présentes dans les différents ministères, ne sont pas sans rappeler la figure du jeune manager dynamique et performant, dirigeant ses subordonnés avec une motivation sans faille, remettant en cause les habitudes de travail et les organisations bureaucratiques dans une logique de performance totale au service du client-roi. Dans cette logique, la nation tend à être conçue sur le modèle d’une entreprise (l’« Entreprise France ») et la politique sur celui du management. La mise en scène politique et médiatique de l’activisme et de la compassion et peuvent jouer un rôle cathartique dans l’instant pour une société désorientée. Mais à l’image des spectacles et des vedettes de télévision, ils sont vite oubliés. Ses effets ne peuvent qu’être de courte durée et nécessitent donc un renouvellement incessant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire